Alter Ego : note d'intention du réalisateur


Le projet : caractéristiques principales

Nous avons principalement fait ce film à deux. J'ai travaillé sur la partie technique (matériel, découpage, plan de tournage, prises de vues, etc.) du film tandis que Rémy Dumont s'est principalement occupé du scénario, de la communication auprès des différents contacts et de la gestion des décors.

Le tournage a duré 8 mois. Sur la quasi-totalité du film, nous avons travaillé avec la HDR-HC1 de Sony qui était, à l'époque, la meilleure caméra amateur du marché. Le début du film, pour sa part, a été tourné avec un camescope Samsung bon marché. J'en ai inséré des passages sous forme de flash-back dans la première demi-heure du film. La différence qualitative d'image entre le Samsung et le Sony exprime visuellement que l'on a affaire à un flash-back en donnant une impression d'ancieneté de l'image (c'est une pratique alternative à la mise en noir et blanc du flash-back).

Nous tournions principalement le soir après le travail et/ou les week-ends. Grâce aux RTT ou à des congés ponctuels, nous avons également tourné certains jours de la semaine, ce qui nous a permis d'accéder à des sites indisponibles le week-end.

Le montage et l'enregistrement des musiques ont duré un an. J'ai assuré le plus gros du montage, mais certaines scènes ont été montées par l'équipe de monteurs. En régle générale, après avoir donné des directives d'ensemble, j'ai plutôt fait confiance aux monteurs auxiliaires pour faire un peu ce qu'ils voulaient. Le recours à des monteurs différents visait à apporter un plus au film en l'enrichissant de regards différents.

La musique a été composée par Xcyril et les chansons sont de Sedna Project, à l'exception de la chanson du générique de fin qui est signée La Névrose.

Film à petit budget et film amateur : dans quelle catégorie ranger Alter Ego ?

Lorsqu'on parle de « film à petit budget » à un cinéphile ou à un professionnel du cinéma, la première image que cela évoque dans l'esprit de notre interlocuteur est généralement celle d'un film réalisé avec peu de moyens certes, mais dans des contextes bien précis. Ces contextes peuvent être le cinéma d'auteur, ou bien celui d'étudiants en école de cinéma qui tournent leur(s) premier(s) film(s). On peut aussi imaginer un réalisateur débutant sur lequel un producteur a choisi de parier une somme qui ne lui fait pas prendre trop de risques tout en lui permettant de suivre un coup de coeur...

Ce n'est le plus souvent qu'en dernier lieu que vient à l'esprit le cas de figure du film amateur tourné les week-ends et/ou les soirs après le travail. C'est à cette catégorie qu'il convient de rattacher Alter Ego. Il ne s'agit ni d'un « petit film d'auteur », ni d'un film « fauché et réalisé avec des bouts de ficelles », ni d'une « carte de visite » d'étudiant en école de cinéma...

Certes, Alter Ego a été réalisé avec un budget quasi-inexistant, mais la principale caractéristique de ce budget est surtout qu'il était suffisant et à, l'exception d'un trépied à tête fluide (cf. infra), nous n'avons manqué de rien de crucial. A l'échelle du cinéma amateur traditionnel, Alter Ego est un film à gros budget.

Nous n'avons pas travaillé avec « la caméra de notre école » ou « la caméra empruntée à tel endroit ou telle de nos connaisances » mais avec un caméscope grand public acheté dans un supermarché. Amateurs également notre structure (Tutella prod), nos ressources relationnelles, notre équipement informatique ou encore les acteurs qui constituent l'équipe.

On perd une large partie de l'intérêt d'Alter Ego si on regarde ce film comme un « film à petit budget », car beaucoup d'éléments vont sembler d'un niveau qualitatif insuffisant dans le contexte « film à petit budget » alors que c'est tout simplement qu'ils sont moins importants que d'autres dans le contexte « film amateur » (cf. infra). Or c'est bien souvent dans ces éléments « autres » que nous avons cherché à mettre le plaisir cinématographique de ce film. Passer à côté de cela reviendrait à aller voir Tchao Pantin dans l'espoir de se marrer un bon coup parce que Coluche joue dedans.

Le but n'était donc pas de faire un El Mariachi français, puisque ce n'était pas possible (El Mariachi a été tourné en 3 semaines, pas en 8 mois...). Ce que nous avons cherché à faire c'est à aller à chaque fois aussi loin que possible de façon à ce qu'il soit intéressant pour le spectateur de voir jusqu'où on pouvait aller dans le contexte d'un film amateur et, si possible, de le surprendre en allant plus loin que ce qu'il attendait...

La mise en scène : propreté versus créativité

Lors du tournage, j'ai prioritairement cherché à éviter 3 écueils propres au cinéma amateur : le manque de crédibilité du jeu des acteurs; la volonté de reproduire des effets cinématographiques irréalisables sans un minimum de machinerie et/ou d'effectif humain; la faible qualité des cadrages. Ce faisant, j'ai perdu beaucoup d'énergie que j'aurais aimé pouvoir consacrer à insuffler de la créativité dans ma réalisation. Chaque fois que c'était possible, j'ai essayé d'être créatif tout en filmant proprement, mais quand je n'en avais ni le temps ni les moyens, j'ai fait le choix de filmer proprement plutôt que d'être créatif.

En somme je me suis dit que, dans le cadre d'un film amateur, il y avait plus d'intérêt à tourner une scène aussi bonne (mais peu créative) que celle d'un épisode de Mac Gyver, plutôt qu'une pâle copie d'une scène de Kill Bill... En fait je n'aime pas trop faire du style pour dire de faire du style. Au contraire, j'aime ce qui est classique, sobre et ne cherche pas à se faire remarquer.

Le jeu d'acteur : une question de format

Éviter l'écueil du jeu d'acteur pas crédible est un travail beaucoup plus difficile lorsqu'on tourne en DV que lors d'un tournage de cinéma « normal ». Le DV donne très vite l'impression que les acteurs surjouent, voire récitent leur texte. C'est le cas généralement dans les courts métrages amateurs qui circulent sur le net, mais, sans aller jusque-là, il suffit pour s'en rendre compte de regarder jouer des grands acteurs professionnels dans des « behind the scene » (making off par exemple) au format DV. Les plus grands ont l'air de surjouer et ne sont plus du tout crédibles devant la caméra DV (ou VHS dans les années 80/90) du makingoffeur alors qu'on les voit plein de talent devant celle du réalisateur. La question du jeu d'acteur dans un film comme Alter Ego est donc un problème de format de la caméra avant même d'être un problème de talent des acteurs : il faut faire en sorte d'éviter que les acteurs aient à jouer.

On a pas mal travaillé avec eux en amont des prises. Je faisais répéter les acteurs ensemble quelques minutes avant de tourner, en leur donnant leur texte par petits bouts et en les laissant eux-mêmes modifier au fur et à mesure le vocabulaire qu'ils utilisaient. Il n'y avait donc, sauf exception, pas de jeu à proprement parler de leur part. Le travail des acteurs a plutôt consisté à s'approprier les personnages qu'ils interprêtaient et à mettre une part d'eux-mêmes dans ces personnages.

Dans cette optique, certains acteurs ont pris une part active à l'écriture du scénario, soit en suggérant des situations ou des dialogues, soit en écrivant des morceaux de certaines scènes.

Les cadrages : qui a un trépied à tête fluide ?

Le principal outil dont le budget d'Alter Ego m'a privé est un trépied à tête fluide. On a dépensé beaucoup de temps et d'énergie à essayer de s'en procurer un, et le film aurait certainement été 200% différent si nous y étions parvenus... Concrètement il était impossible de produire le moindre mouvement de caméra sans à-coup. A quelques exceptions près, Alter Ego c'est une heure et quarante minutes de plans fixes!

Le mouvement qui manquait à la caméra, j'ai essayé de le restituer au montage grâce à un rythme soutenu : il n'y a presque pas de pause, on ne s'arrête pas, on bouge...

En amont du montage, pour résoudre ce problème d'absence de trépied à tête fluide, il y a eu pas mal de boulot également sur les cadrages et notamment la composition des plans. Puisqu'il s'agit la plupart du temps de plans fixes, j'ai pris le parti d'essayer de transformer ce qui était clairement un défaut en quelque chose d'original. Je me suis dit « autant en tirer les conséquences et faire un vrai travail de composition des images ». J'ai donc travaillé la composition des plans exactement comme on le ferait pour une peinture : équilibre des masses, choix de points de fuite, usage plus ou moins régulier d'un certain nombre de règles propres à la peinture (comme celle des trois plans), etc. En terme de composition, je me suis pas mal inspiré de la peinture classique mais aussi du cinéma asiatique (Kitano) et du cinéma muet (Chaplin). Ceux d'entre vous qui feront tantôt une petite visite au Louvre y reconnaîtront peut-être la matrice de certains plans d'Alter Ego...

Les décors : Lugdunum

Le choix de Lyon et Oullins comme cadre principal de l'action répondait à une double volonté pratique et artistique. Sur le plan pratique, il s'agissait de travailler au plus près de là où résident la plupart des participants au projet. Sur le plan artistique, ce choix inscrit Alter Ego dans le prolongement de nos films précédents : nous reprenons un certain nombre de décors utilisés dans des courts métrages antérieurement réalisés. Cela m'a permis de m'amuser à explorer ces décors et à expérimenter diffentes manières de les utiliser. Le panorama de Fourvière, le couloir de la mort de Laurence, le banc du cauchemar de Max ou encore les domiciles de Zeger, Chloé et Max, par exemple, sont autant de lieux dans lesquels j'avais déjà tourné des scènes d'autres films et dans lesquels j'ai, soit peaufiné ma maîtrise des lieux, soit cherché des manières différentes de tourner par rapport à ce que j'avais fait auparavant.

Dans le choix des décors une attention toute particulière a été portée à l'esthétique de l'architecture.