La Ligne Zero – Note d'intention de l'auteur



Un personnage change de peau aux trois arrêts(trois actes)successifs de la ligne zéro.

Avec lui, la peau des personnages qui l'entourent ou l'accompagnent change aussi et bien souvent s'inverse. La double personnalité voire la multiple personnalité de l'être sont pour moi un fait incontournable et inéluctable dont est seule redevable la complexité psychologique de l'humain.

Le champ d'activité de cette multiplicité se manifeste dans les rêves, les visions qui sont ramifiés à une source unique : le réel. Le réel est donc notre référence commune sur laquelle interagissent les rêves, les songes, les visions etc...

Toute ce qui n'est pas directement réel est cependant l'outil idéal de compréhension et de critique de ce dernier: du déphasage naissent de subtiles nuances et tel principe équivaut par transposition à celui qu'utilisent les physiciens dans le domaine de la recherche sur le comportement des particules.

Rêves imbriqués en d'autres rêves, réalités subverties, patchwork d'une réalité cependant authentique, telle est construite en conséquence la ligne zéro.

On comprendra encore combien chercher à donner des noms aux personnages me parut déplacé.

Les personnages de cette pièce sont désincarnés: ils sont des vecteurs de passions, de sentiments, de contradictions, de désirs, de conflits, de symboles, d'entités etc...

En outre, le burlesque, la parodie, la dérision sont les dénominateurs communs de la ligne zéro.

Enfin, je tiens à citer une forte source d'inspiration: l'unique opéra de György LIGETI intitulé « le Grand Macabre », un immense et inégalable chef d'œuvre à mes yeux !


ACTE UN


Le première acte décrit l'action provocatrice d'un jusqu'au boutiste à l'égard d'un couple d'affairistes partageant de bien différentes préoccupations.

Pour ce dernier il s'agit d'arriver à l'heure.

Pour le provocateur il est question de repartir à zéro, de refaire le monde. Afin de susciter des rencontres, il a reconstitué un simulacre d'arrêt de bus: la ligne zéro.

La tension qui va découler de cette communication impossible va faire exploser la mésentente latente au sein du couple d'affairistes.

L'apparition de deux alliés du provocateur va mener cet acte un vers une conclusion à la fois dramatique doublée d'un humour grinçant et d'une chute confusionnelle marquant le terme d'un accès délirant. Ce dernier laissera planer chez le spectateur le doute en brouillant les pistes de l'objectivité. Outre la parodie volontairement clinquante et hilarante de l'homme riche qui en mourant abandonne sa malle au trésor à son épouse hargneuse et cupide, on trouvera dans ce premier acte des actions, des gestes, des propos proches d'images d'Épinal. Lesquels chargés d'intentions burlesques procèdent d'une gratuité nullement innocente. Un regard certain sur le réel et la cruauté du monde...


ACTE DEUX


Le deuxième acte débute avec le personnage principal éteint, dépressif et s'éveillant d'un mauvais rêve(l'acte un). Il n'a le cœur a rien, boit et pense vouloir mourir. Il possède un pistolet mais n'a pas le courage de se donner la mort.

Il s'endort, ivre, et dans son rêve lui apparaît la « force nouvelle », symbole cynique burlesque mais inquiétant d'un prototype désincarné de dictateur: ce dernier lui révèle un numéro de téléphone magique, un service censé résoudre tous les soucis .

A son réveil, le personnage principal appelle le numéro: la « suicidaire de service » l'informe qu'il bénéficiera d'une mort rapide et sans souffrance avant minuit. Le personnage principal ne veut plus mourir, il s'en aperçoit trop tard car la société de service l'informe que sa propre voix a signé un contrat sans retour. Un regard porté sur nos sociétés aveuglément procédurières, une caricature qui allie avec rigueur le sérieux du langage en rapport, sa fermeture, sa fatalité...

La suite montre sous couvert de parodies burlesques la résistance solitaire du personnage se heurtant au téléphone avec des interlocuteurs figés dans le carcan de leurs consignes(sur scène ce sont d'ailleurs des robots). Le personnage principal est autorisé à formuler un dernier message: ce dernier fait une déclaration d'amour à la mort .....Plus tard intervient la force nouvelle en personne. Forçant la porte, la force nouvelle vient reprocher au personnage principal d'avoir laissé un message d'un caractère non conventionnel à la mort qui de ce fait est en retard ce soir .

C'est la fin du monde: la force nouvelle dit avoir découvert en venant le dernier des vivants.

Il dormait sous un abri de bus(acte 1) et ils sont dès lors les deux derniers des vivants.

La lutte s 'engage et le personnage à terme saisit son révolver, tire et tue la force nouvelle.

La mort apparaît dans la foulée, lasse et aspire au déclin de son état.

Elle a un malaise: le personnage la transporte sur son lit. Ce dernier, hésitant, se décide à embrasser la mort.

Elle revient à elle tandis que pointe doucement une lumière nouvelle.

« Les vivants ne sont pas morts: ils vont s'éveiller progressivement quand ils auront surmonté le lourd poids de leur vécu »


Bras dessus, bras dessous, la mort et le personnage principal, amoureusement enlacés, quittent le lieu où git le cadavre de la force nouvelle.


ACTE TROIS


Le troisième acte renoue avec une certaine poésie naturaliste et parfois candide mais en cette double facette réside aussi un trompe l'œil.

Il est sous entendu au fil du récit puis formulé vertement que cette belle nature qui nous entoure, que les aspirations humaines n'ont sur terre que peu d'importance comparées à la lourdeur, l'ambiguïté et l'absurdité des contraintes du « bas monde ».

En ce troisième acte, les personnages sont enfermés en un paradis et bien plus limités qu'avant.

Certes, ils sont devenus sages mais ils se retrouvent à disserter et à dresser le constat de leur vécu.


« l'intelligence spontanée et créatrice manque encore chez la plupart des vivants »

A quoi bon faire des discours dès lors que les choses sont ainsi?

Les personnages transposés de l'affairiste et de l'épouse de l'acte un se séparent dans le calme cette fois ci: la raison, l'appartenance sociales n'ont plus cours mais ils savent en revanche qu'ils vont devoir affronter la plus haute des solitudes. Libérés de toute morale, de toute notion de pouvoir, les voilà livrés au vide absolu en guide d'espoir et d'ouverture aux champs du possible...Nulle victime, nul profit, cette fois ci, mais les voix d'un homme et d'une femme qui, consciencieusement et de façon responsable se donnent la réplique en s 'éloignant, se souhaitent bon voyage et bonne chance...

Les éternelles questions demeurent sans réponse et toute réponse amène de nouvelles questions.

Dieu est enfin éliminé, cela est certain: la pensée est désormais libre même si en retour elle s'avère bien souvent impuissante. Les amours mortes il est également vrai ne renaitront pas.

Les personnages de concert proclament la mort de Dieu et leur croyance en Personne et en Personne seulement.

Enfin, le personnage féminin incarnant la vie(la mort au deuxième acte, la conscience au premier) entraîne les autres personnages à chanter ensemble.


La pièce se termine sur un chant des comédiens sur des paroles poétiques.


REMY DUMONT